« …le bâtiment a été conçu par un architecte qui en avez assez de dessiner des morgues et des abattoirs (…) les peintures pendues aux murs faisaient penser à autant de variations sur le thème de la mare de boue pour cochons ».
Anne Fine, Comment écrire comme un cochon, Paris, Neuf de l’école des loisirs, 1997, pp. 8-9.
***
Dans son livre Essai sur la pensée réactionnaire [Paris, Fata Morgana, 1977, 78 p.] Cioran écrit une phrase que tout « combattant » - le quelconque par nature - pour la liberté de l’Homme [et donc de soi-même] doit fortement intérioriser, méditer pour en tirer des leçons susceptibles de revitaliser sa propre âme, et du coup la réconcilier avec elle-même. Parce qu’une âme en conflit avec elle-même, donc avec sa propre essence, s’achemine sereinement vers sa pétrification. Et, laquelle pétrification s’annule, d’elle-même, dans des odeurs pestilentielles qui préfigurent une irréversible putréfaction.
La déchirure de l’âme, par le biais de sa propre lame, est incicatrisable. Parce qu’elle porte en elle l’essence de l’impossibilité de guérison. C’est le cancer du Cancer. Comme un cancre atteint d’une irréversible amnésie d’intelligibilité.
Donc en méditant cette phrase de Cioran, une âme, en conflit avec elle-même, se rendra compte que « quiconque se confond avec quoi que ce soit fait preuve de dispositions morbides : point de salut ni de santé hors de l’être pur, aussi pur que le vide » (p. 18).
Maawiya et tous ses acolytes se confondirent avec quelque chose jusqu’à porter [en eux] des « dispositions morbides » pour s’attaquer à l’essence de leur propre existence. Cette période a été douloureuse pour l’ensemble des communautés mauritaniennes, maure comprise. Parce qu’il m’est impossible de confondre régime et civilisation, même si par ailleurs il me semble aussi difficile, pour beaucoup, de les séparer l’un de l’autre [ou l’une, l’autre] avec discernement, sans passions.
Et pourtant c’est au cœur du point, qui me semble être leur lieu de séparation ou d’union [leur confusion], que je « prétends » me situer pour observer- en tant qu’individu ayant pris la décision irrévocable de m’appliquer à une distance critique par rapport à toute chose - comment la société fonctionne et comment nous fonctionnons avec... Du subalterne d’entre nous à celui qui prétend avoir la « tête pleine ». C’est ce regard fade, sobre et parfois piquant que je pose sur la société qui m’engage en tant qu’individualité, s’appliquant à un dés-engagement pratique. J’assume pleinement ce caractère qui peut paraître flou, pour certains. Qu’ils réajustent leurs binocles pour mieux lire entre les lignes de leur propre manuscrit inachevable : Entre égocentrisme et haine de soi. Parce qu’un épouvantail n’a aucun sens s’il doit faire peur à celui qui l’a fabriqué !
En nous jetant dehors, Maawiya nous a donné une grande chance. Il nous a permis de mieux nous connaître, jusqu’à nous méconnaître, entre nous, nous-mêmes. Il nous aura aussi appris qu’un repère ne peut pas être confondu avec un refuge. Parce que lui-même, finalement « balayé », est devenu sans repères aux abords d’un « refuge », dont on souhaite vivement le déloger. Cet état de fait, qui conclut notre diasporisation, devrait nous faire avancer vers d’autres champs de luttes qui ont faculté de remobiliser les consciences autour de l’essentiel ; en insistant sur le principe de lisibilité pour que la visibilité fanfaronne disparaisse de l’espace de notre vision. C’est elle qui brouille notre vue et qui nous conduit à des jugements de valeurs diffus qui déstructurent les relations interindividuelles. Elle entame toute possibilité de rapprochement des susceptibilités, pour rétablir, ne serait-ce qu’un minimum d’unité dans la pensée constructive. Cette durée de notre temps d’exil aurait dû être le lieu indépassable de son façonnement, de sa fécondation et de sa consolidation dans l’esprit de chacun et de tous.
Avril 1989 était une exhortation, certes douloureuse et incompréhensible, lancée à la communauté négro-mauritanienne - et plus particulièrement la Haalpulaar [toute génération confondue, et surtout celle post-1989] - pour qu’elle fasse sa propre introspection pour ne point accepter de continuer à vivre sur les résidus historiques régionalistes, familiaux et statutaires. Ces derniers ont longtemps miné les relations entre les premiers administrateurs noirs de la Mauritanie indépendante (!).
Encore, aujourd’hui ses dissensions historicisées « minent » les relations de leurs héritiers qu’ils soient subalternes ou « intellectuels ». Et partout où ils sont, même en situation de diaspora ! Mais personne ne prend, à-bras-le-corps, cette réalité « énervante » qui innerve la communauté. Elle fait « saigner » des relations pré-bâties sur la méfiance, l’arrogance, finalement sur de simples et fallacieuses médisances. Et toutes les autres attitudes inconsistantes qui rongent quelques-uns parmi nous, assis dans l’antichambre de la haine gratuite. Et pourtant ils sont, au même moment, prompts à se fendre pour nous persuader qu’ils sont les meilleurs et indépassables défenseurs des Nègres de Mauritanie et ceux de toute la planète. Alors que ce sont eux-mêmes, dans le sous-sol boueux de leur âme, rompue aux combines mesquines, les véritables amibes qui sucent l’énergie constructive de leur propre société. Cette option ne permettra jamais de capitaliser un certain pouvoir symbolique, capable d’infléchir les trajectoires multiples des communautés mauritaniennes, des individus qui les composent. Les individus, comme les communautés ne fonctionnent, dans le sens inverse du tracé de l’État, que pour contester sa légitimité et faire naître un nouvel ordre capable de satisfaire une partie de nos aspirations. Mais restera toujours un hic, comment mesurer les « pertes sèches », qu’occasionne cette appartenance à ce qui ressemble de plus en plus à une communauté de sentiments.
Les émotions des uns et les passions des autres ont longtemps conduit à des distances que l’histoire de nos terroirs respectifs et celle des familles « singulières » [leur pouvoir sur ces mêmes terroirs] n’ont jamais cessé de co-alimenter pour déboucher finalement sur des discussions de « basse-cour ». Toute chose qui limite, durablement, l’avènement d’une conscience commune moins « assignante » et surtout la moins arrogante possible vis-à-vis de nos individualités. Parce que ceux qui n’ont pas compris l’évolution du monde, et la centralité de la diaspora intellectuelle dans la trajectoire d’un peuple, continuent de se murer derrière un discours auquel ils n’ont jamais cru, que pour leur propre petite visibilité, en usant et en abusant de la douleur commune. Et au passage, ils s’évertuent à « détruire » ceux qu’ils observent à partir de leur propre profession de foi, métamorphosée en simple fantasme.
Pour qu’une conscience commune puisse éclore et se maintenir, elle doit avoir pour vocation de critiquer, en les transcendant [c’est-à-dire sans calomnies], les clivages régionaux, les fractures qui s’alimentent aux ressources des ordres [désordres ?] internes des communautés, et les impacts réels [positifs comme négatifs] des trajectoires individuelles sur la marche globale. Cet étouffement de la pensée constructive est d’autant plus insupportable, qu’il provient de ceux-là mêmes qui se déclarent, de manière ostentatoire et sans aucun mandat certifié de qui que ce soit, « intellectuels » de la communauté, chargés de la divine mission de la défendre partout... [jusqu’à] n’importe comment !
Tant que quelques prétendus/prétentieux intellectuels de la communauté resteront sur les rivages de ce sarcophage de médisances, ils enguirlanderont, avec tous les colifichets ramassés par-ci et par-là, les individus qu’ils veulent clouer au pilori, sans prendre des mesures de précaution. Finalement, c’est cela une âme qui se blesse avec sa propre lame.
Dès lors, comment, peut-on espérer voir apparaître une quelconque conscience, capable de guider vers une certaine humilité qui vient consolider la grandeur d’une idée jugée commune, si les « intellectuels » continuent de s’appliquer le principe de « l’autodestruction ».
Il faut laisser s’envoler, comme la fumée d’une légère, le temps des rêves du combattant singulier, intrépide…
Au bas du plat, se retrouve la quintessence de la cuisson…
Abdarahmane Ngaïdé (Bassel)
Dakar, le 27/06/2016
Anne Fine, Comment écrire comme un cochon, Paris, Neuf de l’école des loisirs, 1997, pp. 8-9.
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Dans son livre Essai sur la pensée réactionnaire [Paris, Fata Morgana, 1977, 78 p.] Cioran écrit une phrase que tout « combattant » - le quelconque par nature - pour la liberté de l’Homme [et donc de soi-même] doit fortement intérioriser, méditer pour en tirer des leçons susceptibles de revitaliser sa propre âme, et du coup la réconcilier avec elle-même. Parce qu’une âme en conflit avec elle-même, donc avec sa propre essence, s’achemine sereinement vers sa pétrification. Et, laquelle pétrification s’annule, d’elle-même, dans des odeurs pestilentielles qui préfigurent une irréversible putréfaction.
La déchirure de l’âme, par le biais de sa propre lame, est incicatrisable. Parce qu’elle porte en elle l’essence de l’impossibilité de guérison. C’est le cancer du Cancer. Comme un cancre atteint d’une irréversible amnésie d’intelligibilité.
Donc en méditant cette phrase de Cioran, une âme, en conflit avec elle-même, se rendra compte que « quiconque se confond avec quoi que ce soit fait preuve de dispositions morbides : point de salut ni de santé hors de l’être pur, aussi pur que le vide » (p. 18).
Maawiya et tous ses acolytes se confondirent avec quelque chose jusqu’à porter [en eux] des « dispositions morbides » pour s’attaquer à l’essence de leur propre existence. Cette période a été douloureuse pour l’ensemble des communautés mauritaniennes, maure comprise. Parce qu’il m’est impossible de confondre régime et civilisation, même si par ailleurs il me semble aussi difficile, pour beaucoup, de les séparer l’un de l’autre [ou l’une, l’autre] avec discernement, sans passions.
Et pourtant c’est au cœur du point, qui me semble être leur lieu de séparation ou d’union [leur confusion], que je « prétends » me situer pour observer- en tant qu’individu ayant pris la décision irrévocable de m’appliquer à une distance critique par rapport à toute chose - comment la société fonctionne et comment nous fonctionnons avec... Du subalterne d’entre nous à celui qui prétend avoir la « tête pleine ». C’est ce regard fade, sobre et parfois piquant que je pose sur la société qui m’engage en tant qu’individualité, s’appliquant à un dés-engagement pratique. J’assume pleinement ce caractère qui peut paraître flou, pour certains. Qu’ils réajustent leurs binocles pour mieux lire entre les lignes de leur propre manuscrit inachevable : Entre égocentrisme et haine de soi. Parce qu’un épouvantail n’a aucun sens s’il doit faire peur à celui qui l’a fabriqué !
En nous jetant dehors, Maawiya nous a donné une grande chance. Il nous a permis de mieux nous connaître, jusqu’à nous méconnaître, entre nous, nous-mêmes. Il nous aura aussi appris qu’un repère ne peut pas être confondu avec un refuge. Parce que lui-même, finalement « balayé », est devenu sans repères aux abords d’un « refuge », dont on souhaite vivement le déloger. Cet état de fait, qui conclut notre diasporisation, devrait nous faire avancer vers d’autres champs de luttes qui ont faculté de remobiliser les consciences autour de l’essentiel ; en insistant sur le principe de lisibilité pour que la visibilité fanfaronne disparaisse de l’espace de notre vision. C’est elle qui brouille notre vue et qui nous conduit à des jugements de valeurs diffus qui déstructurent les relations interindividuelles. Elle entame toute possibilité de rapprochement des susceptibilités, pour rétablir, ne serait-ce qu’un minimum d’unité dans la pensée constructive. Cette durée de notre temps d’exil aurait dû être le lieu indépassable de son façonnement, de sa fécondation et de sa consolidation dans l’esprit de chacun et de tous.
Avril 1989 était une exhortation, certes douloureuse et incompréhensible, lancée à la communauté négro-mauritanienne - et plus particulièrement la Haalpulaar [toute génération confondue, et surtout celle post-1989] - pour qu’elle fasse sa propre introspection pour ne point accepter de continuer à vivre sur les résidus historiques régionalistes, familiaux et statutaires. Ces derniers ont longtemps miné les relations entre les premiers administrateurs noirs de la Mauritanie indépendante (!).
Encore, aujourd’hui ses dissensions historicisées « minent » les relations de leurs héritiers qu’ils soient subalternes ou « intellectuels ». Et partout où ils sont, même en situation de diaspora ! Mais personne ne prend, à-bras-le-corps, cette réalité « énervante » qui innerve la communauté. Elle fait « saigner » des relations pré-bâties sur la méfiance, l’arrogance, finalement sur de simples et fallacieuses médisances. Et toutes les autres attitudes inconsistantes qui rongent quelques-uns parmi nous, assis dans l’antichambre de la haine gratuite. Et pourtant ils sont, au même moment, prompts à se fendre pour nous persuader qu’ils sont les meilleurs et indépassables défenseurs des Nègres de Mauritanie et ceux de toute la planète. Alors que ce sont eux-mêmes, dans le sous-sol boueux de leur âme, rompue aux combines mesquines, les véritables amibes qui sucent l’énergie constructive de leur propre société. Cette option ne permettra jamais de capitaliser un certain pouvoir symbolique, capable d’infléchir les trajectoires multiples des communautés mauritaniennes, des individus qui les composent. Les individus, comme les communautés ne fonctionnent, dans le sens inverse du tracé de l’État, que pour contester sa légitimité et faire naître un nouvel ordre capable de satisfaire une partie de nos aspirations. Mais restera toujours un hic, comment mesurer les « pertes sèches », qu’occasionne cette appartenance à ce qui ressemble de plus en plus à une communauté de sentiments.
Les émotions des uns et les passions des autres ont longtemps conduit à des distances que l’histoire de nos terroirs respectifs et celle des familles « singulières » [leur pouvoir sur ces mêmes terroirs] n’ont jamais cessé de co-alimenter pour déboucher finalement sur des discussions de « basse-cour ». Toute chose qui limite, durablement, l’avènement d’une conscience commune moins « assignante » et surtout la moins arrogante possible vis-à-vis de nos individualités. Parce que ceux qui n’ont pas compris l’évolution du monde, et la centralité de la diaspora intellectuelle dans la trajectoire d’un peuple, continuent de se murer derrière un discours auquel ils n’ont jamais cru, que pour leur propre petite visibilité, en usant et en abusant de la douleur commune. Et au passage, ils s’évertuent à « détruire » ceux qu’ils observent à partir de leur propre profession de foi, métamorphosée en simple fantasme.
Pour qu’une conscience commune puisse éclore et se maintenir, elle doit avoir pour vocation de critiquer, en les transcendant [c’est-à-dire sans calomnies], les clivages régionaux, les fractures qui s’alimentent aux ressources des ordres [désordres ?] internes des communautés, et les impacts réels [positifs comme négatifs] des trajectoires individuelles sur la marche globale. Cet étouffement de la pensée constructive est d’autant plus insupportable, qu’il provient de ceux-là mêmes qui se déclarent, de manière ostentatoire et sans aucun mandat certifié de qui que ce soit, « intellectuels » de la communauté, chargés de la divine mission de la défendre partout... [jusqu’à] n’importe comment !
Tant que quelques prétendus/prétentieux intellectuels de la communauté resteront sur les rivages de ce sarcophage de médisances, ils enguirlanderont, avec tous les colifichets ramassés par-ci et par-là, les individus qu’ils veulent clouer au pilori, sans prendre des mesures de précaution. Finalement, c’est cela une âme qui se blesse avec sa propre lame.
Dès lors, comment, peut-on espérer voir apparaître une quelconque conscience, capable de guider vers une certaine humilité qui vient consolider la grandeur d’une idée jugée commune, si les « intellectuels » continuent de s’appliquer le principe de « l’autodestruction ».
Il faut laisser s’envoler, comme la fumée d’une légère, le temps des rêves du combattant singulier, intrépide…
Au bas du plat, se retrouve la quintessence de la cuisson…
Abdarahmane Ngaïdé (Bassel)
Dakar, le 27/06/2016